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Art contemporain : Francis Essoua Kalu expose sa feinte naïveté à Paris

Toute une palette de couleurs franches pour une expression qui peut sembler naïve. Le Camerounais Francis Essoua Kalu expose pour la première fois en galerie ses dernières œuvres, à Paris, à la 193 Gallery. Une vingtaine de toiles où l’on découvre sa signature, mêlant rêve et réalité. Le peintre abolit les angles et les arêtes, clame sa liberté dans la souplesse des lignes et des formes affranchies de la pesanteur, de la perspective et de la proportion. Les couches de couleurs modélisent les corps, sans ombres, en conjuguant les aplats de teintes chaudes et froides.
Francis Essoua Kalu a choisi « Enfant précoce » comme nom d’artiste pour affirmer, dit-il, l’apparente « innocence de [son] écriture picturale ». Pour lui, « les yeux d’un enfant ne voient pas le mensonge ». Arrivé en France à l’âge de 9 ans – il a aujourd’hui 35 ans – car ses parents voulaient qu’il continue sa scolarité dans les meilleures conditions, le natif de Douala issu de la communauté sawa grandit en région parisienne.
« Esua Esua a yabe, Essoua Essoua est née », de Francis Essoua Kalu (acrylique sur toile, 245 cm x 293 cm, 2024).
Courtesy of 193 Gallery
« Château-Rouge », de Francis Essoua Kalu (acrylique sur toile, 97 cm x 146 cm, 2024). Courtesy of 193 Gallery
« A la porte de la Chapelle », de Francis Essoua Kalu (acrylique sur toile, 142 cm x 154 cm, 2024). Courtesy of 193 Gallery
« Essoua », de Francis Essoua Kalu (acrylique sur toile, 280 cm x 210 cm, 2023). Courtesy of 193 Gallery
« Les Naufragés », de Francis Essoua Kalu (acrylique sur toile, 314 cm x 216 cm, 2024). Courtesy of 193 Gallery
« Le Sacré-Cœur », de Francis Essoua Kalu (acrylique sur toile, 216 cm x 278 cm, 2024).
Courtesy of 193 Gallery
« République », de Francis Essoua Kalu (acrylique sur toile, 116 cm x 81 cm, 2024). Courtesy of 193 Gallery
« Route vers le paradis », de Francis Essoua Kalu (acrylique sur toile, 205 cm x 150 cm, 2021). Courtesy of 193 Gallery
« Maman monument vivant », de Francis Essoua Kalu (acrylique sur toile, 70 cm x 70 cm, 2024). Courtesy of 193 Gallery
« Les Nounous », de Francis Essoua Kalu (acrylique sur toile, 140 cm x 140 cm, 2024). Courtesy of 193 Gallery
« Life a journey », de Francis Essoua Kalu (acrylique sur toile, 59 cm x 81 cm, 2024). Courtesy of 193 Gallery
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La France est aussi l’espérance d’une « “safe place”, un endroit où l’on peut être soi-même malgré les difficultés de la vie et devenir adulte en gardant son âme d’enfant », comme le souligne Roger Niyigena Karera, co-commissaire de l’événement avec Mary-Lou Ngwe-Secke. Le titre de l’exposition, « Oasis d’abondance », suggère d’ailleurs cet espoir : une célébration de la vie, notamment celle des débrouillards du quotidien. Francis Essoua Kalu veut questionner la place de « l’étranger » tout en faisant briller les couleurs des diasporas indispensables au bon fonctionnement de la société.
« Je puise mon inspiration dans les scènes de la vie de tous les jours. C’est là que je trouve les émotions et les détails les plus importants », précise le plasticien. Les tableaux Château-Rouge, A la porte de la Chapelle ou Les Nounous en sont un parfait exemple avec leurs teintes vives, quasi primaires. En revanche, lorsqu’il s’agit de thèmes plus graves, comme dans Les Naufragés, la palette de l’artiste se réduit à l’essentiel et les sujets sont simplement esquissés. « Lorsque les couleurs s’absentent, elles nous hurlent une écrasante vérité : la dépersonnalisation des migrants disparus en Méditerranée », note Mary-Lou Ngwe-Secke.
C’est en 2019 que la 193 Gallery découvre Francis Essoua Kalu. Le peintre s’est fait remarquer en se mettant en scène avec ses toiles dans des lieux emblématiques de Paris, comme le Centre Pompidou, le Louvre, le Palais de Tokyo, la place de la République ou les Champs-Elysées, assis sur un tabouret en bois avec une pancarte « Exposez-moi » à ses pieds. Une façon de se faire connaître et de signifier la difficulté de trouver une galerie pour présenter ses œuvres. Une initiative qui fera son petit effet sur les réseaux sociaux.
Autodidacte, le jeune homme doit ses débuts à son oncle Malam, sculpteur de renommée internationale, diplômé de l’Ecole nationale supérieure d’art et de design de Nancy, qui a notamment participé à la Biennale de Dakar en 2004 (Dak’Art) et au premier rendez-vous triennal de « La Force de l’art » au Grand Palais à Paris en 2006, qui proposait un parcours à travers l’art contemporain grâce à des œuvres de 200 artistes exposées sur 7 000 m2.
« Mon oncle est un regardeur et un penseur du présent. Lorsqu’il était au Cameroun [il vit aujourd’hui en France], ses expositions et ses interventions artistiques faisaient beaucoup parler d’elles car elles dénonçaient des faits de société dérangeants : refus d’aide aux communautés dans le besoin après des accidents de la vie, viols, assassinats… Il m’a donné le courage et la force de retranscrire le monde tel qu’il est », aime à rappeler Francis Essoua Kalu.
Alors qu’il a 19 ans, il devient l’assistant de son oncle. Puis il commence à peindre quatre ans plus tard, « avec de la peinture à l’huile que [lui] offre à Noël [sa] copine de l’époque ». Sans oublier les conseils, les histoires et les contes que lui racontait sa grand-mère et qu’il écoutait attentivement.
Pour Christophe Person, fondateur et directeur de la galerie du même nom spécialisée en art contemporain africain, « Francis Essoua Kalu possède une esthétique pop qui tape à l’œil, proche de l’illustration, rendant ses œuvres narratives et accessibles. Il renouvelle ainsi les propos des artistes de la peinture populaire congolaise [Chéri Chérin, Moké ou Amani Bodo], voire de modernes nigérians tels qu’Emmanuel Ekong Ekefrey ou encore du post-cubisme du Ghanéen Kofi Bright Awuyah. Il multiplie les partenariats et sait utiliser les nouveaux médias pour se faire connaître. Un phénomène à suivre, donc ».
Le marché semble apprécier le travail du plasticien : une quinzaine des œuvres exposées dépassent allègrement les 10 000 euros, dont Esua Esua a yabe, Essoua Essoua est née, proposée à 24 000 euros, et Les Naufragés, à 25 000 euros. « C’est d’autant plus intéressant que le marché autour des tableaux de Francis Essoua Kalu s’est développé en dehors du circuit des galeries », souligne Mary-Lou Ngwe-Secke.
Enfin, le jeune Camerounais participe au label Walk in Paris, fondé en 2013 par Gary Neveu et Léo Walk, deux artistes pluridisciplinaires parisiens. La marque, qui se définit comme du streetwear chic, s’inspire de la mode des années 1970 et de la culture hip-hop des années 1990, et s’étend au monde de la musique et de l’art. Francis Essoua Kalu en est l’un des mannequins. Il a par ailleurs défilé pour Louis Vuitton le 20 juin 2023 sur le Pont-Neuf, à Paris, lors du premier défilé de Pharrell Williams, nouveau directeur artistique des collections homme de la marque.
« Oasis d’abondance », de Francis Essoua Kalu « Enfant précoce », à la 193 Gallery, 21 rue Béranger, 75003 Paris. Jusqu’au 27 avril.
Olivier Herviaux
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